Mélancolies

Les affres passées ont ouvert une nouvelle ère d’éclaircie, et de dialogue. Le téléphone s’est remis à fonctionner et, certains jours, très ensoleillés, un texto proposait de se voir.

Un soir, Karl est venu avec une offrande particulière, des boules chinoises. Parce que Lud en avait parlé comme d’un fantasme, la nuit de la St Sylvestre. Touchée. Pas coulée.




Des petites boules jaunes sur une cordelette blanche, pour faire vibrer madame d’entrées et de sorties. Un peu petites à son goût mais chinoises tout de même. Et délicates à l’emploi car ces petites choses inoffensives en apparence, peuvent pincer, parfois et à peine, mais suffisamment pour atteindre l’insupportable. Elle n’aime pas souffrir mais n’a rien dit.




Un autre soir, il portait un beau pull blanc, de laine romantique laissant imaginer de mystérieuses escapades marines. Un pull et une petite fermeture éclair au col, terminée par un petit rectangle blanc en plastique. Lud aimait bien ce pull. Elle lui a proposé d’inscrire sur le rectangle son numéro de téléphone à elle, pour le jour où il se perdrait.




Février. Le 14. La St Valentin est une farce commerciale qui embarrasse Lud. L’année passée, elle avait réussi à transformer cette fête en une infâme bouillie de rupture et de saccage, un cauchemar sans appel. Voilà que cela recommence.




Elle n’en parle pas. Elle ne se voit pas faire dînette aux chandelles avec son Corto incaptable, tendre mais incaptable.

Elle attend le gong. Qui arrive. Karl lui écrit un mail pour lui demander quel est le programme pour le 14. Soulagement… elle ne passera pas la semaine à s’interroger sur ce jour, sa solitude, pourquoi, comment, blabla, etc.

Elle cherche des idées et en trouve : un apéro à la cantine des Ginettes Armées rue Quincampoix, puis une dérive aux Chandelles.

 

 

Ce club est une version hype de l’échangisme, parfait pour une fête.

Mieux encore, elle mettra une perruque rouge; le rouge n’est-il pas couleur d’amour ? En Chine, notamment. Elle mettra cette perruque qui traîne dans un placard depuis des siècles, et qui ne décidait plus à en sortir parce que pas d’audace, ou pas d’occasion pour justifier. Elle est ravie de sa trouvaille, et sera jolie en rouge orangé. Jolie, pas sérieuse, décalée ; parfait pour une fête de l’amour. C’est lui qui la rend ainsi libre, d’être rouge, décalée, obscène ou romantique. Il lui permet tout car il ne demande rien.




Les Chandelles n’ont pas ébloui la soirée de grandioses découvertes. Le public y était plutôt distant, moins naturellement libertin. Comme s’il s’agissait surtout de couples non habitués, ici exceptionnellement parce que c’est le 14, et que l’on est en février. Lud fait quelques éclats, légers, comme danser sur la piste en jupe et soutien-gorge, devant Karl qui s’en amuse. Et puis au gré d’une folie, elle laisse son numéro de téléphone à un inconnu.




Le dialogue s’établit mieux, ou s’établit seulement, pendant cette période. Dans le réel, Karl est comédien, donc en galère. Un mal être s’obstine en lui, car il n’a encore rien fait à l’heure où les autres s’installent, socialement bien-sûr, et pondent leur joyeuse progéniture. Il est en marge, et revendique son impossibilité à aimer. Car il n’en veut pas d’une histoire, d’une relation. Et il affirme que Lud (dans le genre "établie") ne se contentera pas de cela. Qu’ils ne sont pas en phase. Trop basique. Elle ne rêve pas d’un couple, de marmaille ou de week-end en Normandie. D’ailleurs, en rêve-t-on ?




Elle sent et explique qu’elle ne veut plus d’une histoire simple, mais que veut-elle ? Un mec ? Un copain ? Un mari ? Un amant doué et courtois ? Un marin qui lui échappe ? Un copulateur qui la baise ? Plusieurs ? Combien ? Et pour combien de temps ?

Et puis qu’est-ce que l’amour ? C’est une obsession qui la tient. Elle s’est noyée dans les ouvrages, de Comte Sponville à Zweig et A. Nin, en passant par Ovide. Quelles sont les clés ? Pourquoi n’y vit-elle qu’une confusion aussi accablante ?
L’amour en trois phases, tomber amoureuse, être amoureuse, rester amoureuse.
Lud se jette dans la première, survole la seconde et ne réchappe – jamais ? – à la troisième.

Elle se demande si elle est capable d’aimer. Ne sait plus rien. Elle doute de tout.

Se dit qu’elle n’est même pas capable de se laisser aimer. Karl garde ses distances. Il est loin, très loin. Tellement loin qu’elle décide de mettre un terme à cette histoire. C’est décidé, c’est insupportable, mais ils ne se verront plus. C’est au téléphone, il ne sait pas comment répondre, il y a des « mais » sans conviction, des "oui" sous-entendus. Alors c’est terminé. Elle pleure, beaucoup, et souffre horriblement à la pensée de ne plus sentir ses mains saisir violemment ses cheveux derrière sa nuque lorsqu’il est couché contre elle, lorsqu’il est en elle ; de ne plus entendre l’injurier quand il la baise ; de ne plus s’offrir quelque pornographique divagation ; de ne plus le voir, ni son pull blanc ; de ne plus se sentir aussi libre, aussi vraie ou déchaînée, aussi elle-même avec un homme.

Elle s’effondre.




Cela dure quelques semaines, puis elle se raccroche à l’email, et lui propose une rencontre, juste parce que "printemps a ses raisons que la raison ne connaît pas". Il acquiesce aussitôt.

Pour d’incompréhensibles raisons, elle ne cherche pas d’autre berge pour épancher ses désirs. Elle n’a envie que de lui, que de simplicité, avec l’épée de Damoclès au bout : son téléphone muet.




Un soir de ponctuation, il l’appelle pour lui proposer de prendre un verre, il est en bas de chez elle. Il a un peu bu, et il se répand en louanges. Lui dit qu’elle est formidable, qu’elle est belle, très sexy, intelligente, généreuse, trop bien, qu’il pense tout cela. Elle est mal à l’aise. Mais elle adore l’entendre. Dans l’immeuble, il la saisit dans l’ascenseur. C’est brutal. Ils sont interrompus par un voisin. Elle est ravagée de honte. Ils rentrent ; il la prend encore, et lui demande d’appeler les renseignements pour être mise en relation avec n’importe qui. Il est 2h du matin, elle tente, y arrive avec peine, n’ose pas, mais sent croître son excitation. Jusqu’où ? Jusqu'au bout.




Karl répète qu’il n’est pas amoureux, vraiment pas, qu’il ne le sera d’ailleurs plus jamais. Son travail le capture trop, il doit sublimer pour travailler – et la sublimation ne supporte pas l’amour. Elle essaie de lui dire – et de s’en convaincre – qu’elle n’a guère besoin de son amour, seulement de le voir.

Karl pense qu’elle n’est pas amoureuse, qu’elle est seulement affectivement "stimulée" par le fait qu’il lui échappe. Que d’amour il n’y aurait plus que poussière s’il se mettait en tête de débarquer avec ses valises. Elle le croit, elle essaie de le croire.

 

Nouvelle rupture. Moins dévastatrice, mais lourde, lourde à porter. Lud aimerait pouvoir l’aimer, comme elle aime ses amis, ses tendres proches, juste avec tendresse et complicité. Mais le sexe en plus. Et l’affectif aussi. C’est beaucoup trop.

Elle travaille, se donne à sa société, à ses associations. Se remplir, déborder, oublier qu’elle a un corps, un besoin inouï de l’autre, d’amour.

Dernier spasme. Dernier fil lancé depuis Hong-Kong pour une soirée lorsqu'elle rentrera. Face à la baie, elle ne pense qu’à cela, faire l’amour, Karl et faire l’amour. Elle rentre. Le voit. Dès qu’ils se retrouvent, dans la rue, il la prend par la taille comme s’ils étaient amants depuis toujours. Ses yeux brillent, il est attentionné, il lui dit qu'il est attaché à elle. C’est une nuit délicate, aimante, bien. Juste et tellement bien. Elle partira en vacances demain, et elle se sent plus libre que jamais contre lui.

Depuis l’océan, elle appelle. Retour à la case départ, à l’infernale spirale de l’attente, du silence, du néant. Une semaine de torture intérieure, sans aucune autre raison que l’attente. Peut-être sur-enflammée par les brûlures de son corps sous le soleil, de ses cuisses dans les vagues, de ses seins huilés, qui voudraient, qui voudraient... qui attendent.

Puis un appel, un échange, pour se libérer des tensions. Dire et mettre des mots sur ses émotions. Il ne fallait qu'un dialogue pour faire tomber l’attente dans le néant. Elle sait, le dit, et le sait. Il n’y a rien à attendre de lui. Il n’y a peut-être pas grand chose d’ailleurs, juste cette irrépressible tentation de le rappeler.




Elle rentre à Paris. Elle veut écrire, mais n’y parvient plus des mois. Cela ne vient pas, ne sort pas.

Pas de fil, pas d’Ariane, pas de mots. Comme l’année précédente, c’est encore l’été, et elle se reconnecte sur Yahoo rencontres.

Peut-être pour un fil, pour des mots, pour autre chose.

Qui c'est Lady Lorin ?

Lady Lorin, c'est un kaleidoscope de bouts de moi.
C'est un peu mon oeuvre, aussi.
Spermatozoidée par mes amours et ovulée de mes aventures.

Je la dorlotte, je la lisse. Je la malaxe ou je l'écrase puis je l'étire pour lui donner d'autres formes.
Je la grandis.

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lorinaparis@yahoo.fr

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